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«Le week-end, j’aime faire le tour des tombes». Pour Alain Dafflon, croque-mort est le métier d’une vie

A 23 ans, Alain Dafflon figure parmi les plus jeunes entrepreneurs de pompes funèbres en Suisse. Mais l’homme, s’il est consciencieux, n’a rien d’austère. Et adore son métier…

On m’estime souvent plus vieux.» Il paraît en effet plus âgé qu’il ne l’est, avec son sérieux professionnel et son costard, qu’il porte au quotidien. Mais très vite, on se surprend à rire avec lui. Pour le coup, cela a de quoi étonner. Car à 23 ans, Alain Dafflon figure parmi les plus jeunes entrepreneurs de… pompes funèbres en Suisse. Il a lancé une entreprise à son nom dans la Broye à 21 ans seulement.

Consciencieux sans être austère, discret mais sachant ce qu’il se veut, Alain l’assume en souriant: il n’a pas grand-chose en commun avec l’image insouciante et fêtarde qu’on associe volontiers à la jeunesse. Il n’y a qu’à en juger par ses loisirs: «Le week-end, j’aime faire le tour des tombes avec mon père, les entretenir!» Une particularité assumée et qui ne l’empêche pas, dit-il, de cultiver des amitiés.

Don de soi et respect

Et tant pis pour ceux qui trouveraient sa vocation précoce. Car il adore ce métier, qui l’anime: «J’ai besoin de donner aux familles, d’être dans le milieu du deuil pour avancer dans ma vie», lance-t-il, assurant ne pas jouer sur les mots. Un métier choisi également pour «le respect témoigné à la personne décédée et à son âme» via ces gestes qui la préparent au passage. Un rituel d’autant plus important à ses yeux de catholique croyant, convaincu qu’il y a quelque chose après la mort. Mais d’assurer ne jamais chercher à imposer sa foi, face à des familles de toutes les religions.
« On est fait ou pas pour ce métier, impossible de jouer un rôle »
Son quotidien? «Rédiger des contrats de prévoyance, être appelé pour des levées de corps. Je les prépare pour la mise en bière et ma mère, qui travaille dans les blocs opératoires, m’accompagne également. Je donne les soins mortuaires – j’ai suivi une formation avec une thanatopractrice. Je m’entretiens avec les familles, organise les obsèques. On est fait ou pas pour ce métier, impossible de jouer un rôle! Il faut faire la part des choses, rester pro: on fait preuve d’empathie mais même si l’on peut être très ému, on ne peut se montrer trop triste, sans quoi on ajoute à la peine de la famille. Ma satisfaction est de la voir apaisée; et parfois un sourire peut alléger son deuil.»
Lui-même a connu des coups durs. Comme ce choc à 18 ans, lorsqu’il se retrouve face à une défunte de son âge. «Je n’avais alors pas la maturité pour me lancer dans l’accompagnement de familles endeuillées. Etant «très famille», il m’a fallu ces 2 ans pour en être capable», relève celui qui se ressource auprès d’elle.
Cette vocation, il la doit d’ailleurs surtout à son père, qui a œuvré 25 ans dans le domaine avant de le quitter pour raisons de santé: «C’est grâce à lui si je me suis lancé. Et il m’accompagne souvent: c’est un peu une formation continue.»

Enfance peu ordinaire

Alain voit le jour à Payerne le 1er juillet 2001, précédé d’une sœur. Son père, très religieux, a étudié au Vatican. L’ambiance du foyer est ainsi stricte mais juste, et surtout peu banale. Petit déjà, Alain voit partir son père pour des levées de corps. Et contrairement à sa sœur, qui travaille dans les bureaux et «a une peur bleue de la mort», il dit n’en avoir jamais eu peur: «Je me sens très apaisé devant un corps.» Devant ces défunts qui «dorment», il éprouve tôt le besoin de comprendre. Son intérêt pour le métier grandit à mesure qu’il en découvre les particularités aux côtés de son père. «Cet univers était normal pour moi. A 8 ans déjà, je le voyais venir me chercher à l’école en corbillard!»
Une école qui n’enchante pas celui qui se décrit comme un «cancre à la tête dure»: «Mais je savais ce que je voulais et je m’en suis donné les moyens.» Lui qui rêve de devenir «ambulancier ou croque-mort» est d’ailleurs vite convaincu que son avenir se fera dans ce second domaine.
Dès qu’il le peut, il entre ainsi dans une entreprise fribourgeoise de pompes funèbres. Puis il se lance à son compte en 2022, avec l’appui financier de ses parents et après avoir économisé en travaillant comme agent de sécurité. «J’avais besoin de faire les choses à ma façon», lance celui qui veut «moderniser et humaniser ce secteur».
Il obtient les attestations requises pour collaborer avec le Ministère public ou la police. «Je me suis retrouvé à 22 ans devant un procureur mais pour du positif!» rit-il. Son choix est à l’image d’un jeune hors du commun qui «n’aime pas sortir en boîte, ne fume pas et ne boit pas», même s’il apprécie de regarder un match de foot avec des potes, et s’avoue fan de belles Mercedes. Il doit mettre sa vie privée à part, le temps de faire ses preuves, «mais cela en valait la peine», assure-t-il.

Nombreux projets

Aujourd’hui, il se réjouit de pouvoir vivre de son métier. Ses projets? Déménager dans un lieu plus spacieux. Et réunir sur un seul site maison, corbillards, chambre funéraire et bureaux. Il veut aussi se lancer en 2025 dans un brevet fédéral pour continuer à faire évoluer le métier.
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